Faut-il avoir peur des cue-bids ? (2)

Paul Cézanne (1839-1906), Les joueurs de cartes (1892-1895)

L’origine de l’emploi du cue-bid n’est pas connue. Le mot lui-même ne peut être rattaché à aucune source historique. Et le fait de « cue-bidder » n’existe apparemment qu’au bridge. Tapez le mot cue-bid dans votre moteur de recherche et vous n’obtiendrez que des sites de bridge. L’orthographe du mot est variable : cuebid, cue bid ou cue-bid – cette dernière étant celle qui est employée préférentiellement chez nous –. Il est intéressant de voir que le terme cue-bid est employé dans tous les pays à travers le monde, montrant ainsi que personne n’a trouvé de traduction acceptable dans sa langue. Comme nous l’avons vu dans un précédent article, le cue-bid a d’abord désigné une enchère de contrôle, soit après un fit (1♠-3♠-4♣, 4♣ étant un cue-bid de contrôle), soit après un Blackwood, la réponse à celui-ci ne représentant pas une couleur d’atout mais un nombre de contrôles en premier, soit tout autre contrôle. Puis sont venus les cue-bids bicolores (Michaël précisés), puis les cue-bids interrogatifs, par exemple dans une couleur creuse, demandant au partenaire un arrêt pour jouer SA, ou pour lui demander de décrire un peu mieux sa main. Aujourd’hui, dans la très grande majorité des cas, en tout cas en France, nous ne parlons de cue-bid que lorsque nous nommons la couleur de l’adversaire, soit directement annoncée par lui, soit implicite (s’il a annoncé lui-même un bicolore par un cue-bid, par exemple, ou s’il a fait un Texas). Bien entendu, répétons-le inlassablement, les cue-bids ne doivent être annoncés que lorsqu’il n’y a pas de meilleure enchère n’est disponible. C’est une voie de « dernier recours », par exemple quand aucune autre enchère n’est forcing, et qu’on voudrait bien que le partenaire ne nous laisse pas tomber.

Revenons à l’esprit de l’article de Michel Bessis, Le Bridgeur n° 721, septembre 1999, qui a l’avantage de « sérier » les différents cue-bids. Rappelons que les séquences comportant des cue-bids sont extrêmement diverses et n’ont que peu de choses à voir entre elles. L’emploi du cue-bid reste une arme supplémentaire qu’il convient de garder dans un coin du cerveau. Nous en étions aux cue-bids du n°3 [voir l’article Faut-il avoir peur des cue-bids ? (1)], ayant survolé les cas où, après une intervention simple du n°2, le n°3 cue-bidde la couleur d’intervention, sans saut. La signification diffère un peu selon que l’ouverture est mineure ou majeure. Ce cue-bid, que nous avons étudié sans saut, peut parfois se faire avec saut :

Les cue-bids du joueur n°3 (cue-bids du répondant, suite). Voir 1°) et 2°) dans l’article précédent.

3°) Le cue-bid du n° 3 avec saut. Exemples : N 1 – E 2♣ – S 4♣, ou bien 1♣/ – 1♠ – 3♠. Ces enchères sont utilisées – comme dans le silence adverse (et alors avec double saut) – comme splinters, avec une main fittée par au moins 4 cartes sur ouverture majeure et 5 cartes (plutôt 6) dans une main irrégulière sur ouverture mineure – car on dépassera en général l’enchère de 3SA –. Il y a bien entendu une courte, singleton ou chicane dans la couleur adverse, et la main est une main de manche. Mais attention de ne faire ce genre d’enchère qu’avec des points de manche sans espoir de chelem si l’ouvreur est minimum. La main idéale comporte donc 14 à 15HLD, avec au maximum 10 ou 11HL (il y a toujours au moins 4 points D avec ce type de main). Avec une main plus forte, contentez-vous d’un cue-bid sans saut, même avec une courte dans la couleur adverse. Voici une séquence qui s’applique parfaitement au diagramme ci-contre (main de Sud) : Nord ouvre d’1, Est intervient à 2. Sud a maintenant l’enchère idéale de 4. Un ouvreur avec 13 à 16HL d’ouverture peut revenir tranquillement à 4, il n’y a pas de chelem. A partir de 17HL ou 18HLD, l’ouvreur doit au contraire explorer le chelem. Bien entendu, dans un contexte de manche mineure (très rare), la main de Sud doit posséder 3 points de plus (rappel : 3 points = une levée). Rappelons un point collatéral important : après intervention, il n’y a pratiquement jamais (très rares exceptions, et alors conventionnelles) de splinter hors de la couleur adverse. Les autres couleurs disponibles avec saut sont des enchères de rencontre. Dans le cas de l’exemple, le seul splinter est 4 (voir la fiche 1-2-? dans le Dictionnaire des Enchères, enchères Compétitives).

4°) Les cue-bids du n°3 après une intervention bicolore (Michaël cue-bid ou autre, précisés ou non). Ici, l’adversaire a annoncé deux couleurs – théoriquement au moins 5-5 –, précisées par son partenaire qui a bien entendu alerté. Nous sommes ici dans le cadre de la défense contre une intervention bicolore. De nombreuses méthodes sont utilisées, et les partenaires habituels doivent s’entraîner, après avoir choisi l’une d’elles, à l’appliquer sans se tromper. Il y a eu, ces dernières années, plusieurs propositions, qui toutes tiennent compte du fait qu’après une intervention bicolore, le n°3 dispose maintenant de DEUX cue-bids, un dans chacune des couleurs annoncées par l’adversaire : ce sont des cue-bids sur cue-bid ! Le cours de première série Défense contre les Michaël précisés présente la version qu’adoptera le SEF fin 2018. Joueurs non confirmés s’abstenir : passez directement au paragraphe suivant. Bons joueurs, lisez ce cours, par curiosité ou pour le jouer avec votre partenaire favori : le principe général est que le 1er cue-bid, dans la couleur la moins chère, promet la moins chère des deux couleurs restantes (donc éventuellement le fit, si la couleur d’ouverture est cette couleur la moins chère). Le 2ème cue-bid, celui de la couleur la plus chère, promet 5 cartes dans la plus chère des couleurs restantes (donc également avec un fit possible). Ce cue-bid est toujours forcing de manche. Contre est punitif pour une des deux couleurs, mais seulement sur ouverture d’une majeure (ou sur 1♣/ – 2). Sur ouverture mineure, il indique 4 cartes dans la majeure non nommée par 2SA (♠). Avec des mains faibles fittées (6-10HLD), on fitte tout de suite (on aurait soutenu au niveau de 2), et cette enchère est a priori purement compétitive. Avec une main faible non fittée (jusqu’à 9-10HL), on laisse l’adversaire transformer le Michaël’s cue-bid, et les enchères ultérieures du répondant deviennent maintenant compétitives, non forcing. Les enchères de SA indiquent des arrêts dans les deux couleurs du bicolore, pour les jouer. Les changements de couleur naturels en majeure au niveau de trois sont faibles, ressemblant à un 2 faible, avec un maximum de 11HL (donc 9H).

Pour les joueurs plus novices, un système beaucoup plus simple peut être appliqué contre les Michaël cue-bids, en considérant simplement que les adversaires ont d’un seul coup annoncé deux couleurs. Si l’on n’est pas fitté avec l’ouvreur, ou bien on a une enchère naturelle, la quatrième couleur, ou bien on s’oriente vers SA. La quatrième couleur sera proposée naturellement, comme après n’importe quelle intervention, avec au moins 12HL (avec moins, 9-11HL, on peut contrer, sorte de spoutnik). En dessous, on passe. Pour jouer SA, on annonce 3SA avec l’arrêt dans les deux couleurs, et si l’on n’arrête qu’une des deux couleurs de l’adversaire, on l’annonce (cue-bid), suggérant qu’on manque d’arrêt dans l’autre. Ainsi, l’ouvreur saura à quoi s’en tenir. Voyez par exemple la main de Sud ci-dessus à gauche : après une ouverture d’1 en Nord et une intervention à 2 en Est (alertée par Ouest : bicolore ♠-♣ au moins 5-5), Sud qui jouerait bien à SA cue-bidde à 2♠, indiquant qu’il tient les ♠ mais pas les ♣. Nord peut maintenant prendre sa décision en connaissance de cause, et même, s’il n’a lui-même pas d’arrêt ♣, proposer de jouer 4 à 7 atouts. Remarque : si l’on joue le système moderne Bessis décrit au paragraphe précédent, Sud devrait dans le cas présent contrer, car il punit une des deux couleurs (et 2♠, pour lui, promettrait 5 cartes à  !). Voyez l’importance de travailler votre système avec votre partenaire…

Les cue-bids du joueur n°4.

Il y a ici différentes situations, selon que les joueurs n° 2 et 3 ont passé ou non. Tous ces cas sont importants, et les cue-bids très fréquents. Essayons donc de sérier les problèmes, sans pouvoir tout aborder aujourd’hui. Nous n’évoquerons pour l’instant qu’un seul cas :

Le partenaire a passé et le répondant également. Le n°4 se trouve donc en situation de réveil. Il pourrait se dire que la situation est la même que s’il était en intervention, et notamment en ce qui concerne les Michaël cue-bids, destinés à annoncer les bicolores. Il n’en est rien. Deux raisons essentiellement : il serait absurde de déclarer qu’après l’ouverture d’1♣, 2♣ en réveil serait naturel, comme en intervention. En effet, ici, le n°4 est « soumis » à l’ouvreur, ce qui n’est pas le cas du n°2. D’autre part, rappelez-vous, l’enchère de 2SA en réveil est naturelle, avec une main de 17-19HL régulière et une double tenue dans la couleur d’ouverture [voir les cours de 4ème série sur les réveils : Les réveils (1), Les réveils (2)]. Ainsi, le SEF ne reconnaît qu’une façon d’annoncer certains bicolores, le cue-bid dans la couleur de l’ouverture, même ♣. Toutes les autres enchères, même à saut, sont naturelles. 1♣-P-P-2♣ signe un bicolore majeur, 1-P-P-2 un bicolore majeur également, 1-P-P-2 annonce ♠ et une mineure à préciser, 1♠-P-P-2♠ annonce et une mineure à préciser (voir ces cue-bids dans les fiches correspondantes en cliquant sur les séquences soulignées). D’autres conventions existent, mais elles sont hors SEF, et vous pouvez les trouver dans la littérature bridgeuse. Mais si vous n’êtes pas sûrs de ne pas vous tromper, ne les utilisez pas. Un cours pour les joueurs de 2ème série, à ce sujet a tout de même été écrit pour ce site, à la suite d’un article de Michel Bessis dans Le Bridgeur d’avril 2001, Les réveils simples.

Il nous reste bien d’autres situations à étudier, ou plutôt à survoler, qui comme celles que j’ai déjà décrites sont très courantes : le cue-bid du n°4 quand le partenaire a passé mais le répondant a changé de couleur, le cue-bid du n°4 quand il y a eu intervention du n°2. Et puis, il y aura les cue-bids de l’ouvreur. Mais il faudra, une fois de plus, patienter un peu et attendre la parution de « Faut-il avoir peur des cue-bids ? (3) ».

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2 commentaires sur “Faut-il avoir peur des cue-bids ? (2)

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