Le précédent article traitait essentiellement de l’entame de l’As ou du Roi à la couleur. Trois sortes de signaux sont alors employées par le partenaire défenseur de l’entameur : parité, appel direct ou appel préférentiel. Ce dernier signal n’intervient que lorsqu’un singleton apparaît au mort. Avant d’aborder la parité, sujet essentiel et combien important de l’article d’aujourd’hui, et où tant d’erreurs sont commises à la table, éliminons les cas où la signalisation serait plutôt préférentielle qu’en pair-impair.
Après l’entame, quelle qu’elle soit, vous n’êtes pas toujours en mesure de « monter en troisième » (voir à ce propos deux anciens articles sur ce sujet, publiés en mars-avril 2013). Vous devez donc « fournir ». Avant de se précipiter sur le « pair-impair », de loin le plus fréquent, on doit toujours se demander s’il n’y a pas ici une exception. Il existe trois cas où le pair-impair perd sa priorité parce qu’une autre signalisation est plus urgente ou plus pertinente.
Le mort étale un singleton : Comme sur l’entame de l’As ou du Roi, le signal devient préférentiel, d’ailleurs pour les mêmes raisons (voir l’article précédent).
Votre partenaire entame d’un singleton évident : Ce que désire l’entameur, c’est évidemment une coupe (rappel : l’entame singleton est dangereuse, voir le cours Entame couleur compléments). Il convient maintenant de lui faire d’urgence un appel préférentiel, s’il peut vous « retrouver » quelque part. Quand s’agit-il d’un singleton « évident » ? Par exemple, lorsqu’il entame dans une couleur de l’adversaire. Parfois, lorsque vous-même possédez une couleur très longue. Dans ce dernier cas toutefois, n’oubliez pas que l’entame doubleton existe… Mesurez le danger !
L’entameur connaît déjà la longueur de la couleur d’entame chez son partenaire par les enchères. Par exemple, dans votre camp, il y a eu une intervention à 1♠ et une réponse de 3♠. Les adversaires jouent finalement 4♥. Quand l’intervenant entame ♠, il connaît déjà les quatre cartes en face de lui. Le signal sera alors toujours préférentiel, car le dialogue étant déjà très limité au bridge, comme d’habitude « on ne vend jamais deux fois sa salade ». Le ♠V signalera une force à ♦ ; le ♠2 sera plutôt un refus de ♦, un appel à ♣, ou encore LPPDP (la plus près du pouce, rien à signaler). Bien entendu, c’est surtout dans cette dernière circonstance (longueur de la couleur déjà connue) que le manque de réflexion d’un des défenseurs quant à la nature du signal peut entraîner un pataquès : parité ou préférentielle ?
Un dernier cas, rare, mérite d’être mentionné. Votre partenaire a entamé d’un As blanc, « pour voir le mort » ou tout simplement parce qu’il n’avait pas de meilleure entame. Vous ne vous apercevez de l’absence du Roi qui aurait dû être joint à l’As que parce qu’il est au mort (ou que vous le possédez vous-même). Dans le cas du Roi au mort, la préférence prime, de façon logique, sur la parité, surtout si l’entame malencontreuse de l’As a affranchi plusieurs cartes de l’adversaire (As entamé devant RD1085 au mort, par exemple). Il convient dans ce cas pour la défense de prendre ses levées selon un « plan Orsec » d’urgence !
Il est donc bien entendu que dans la grande majorité des cas où l’on ne peut « monter en troisième », c’est un signal en pair-impair qui sera de mise [voir les cours Pair-impair (1), Pair-impair (2)]. Et la traduction de ce signal ne sera pas toujours aisée. Vous connaissez bien la règle, et pourtant un petit exposé de la question ne sera certainement pas superflu…
Vous avez un nombre impair de cartes : vous mettez la plus petite dans tous les cas, donc aussi bien avec 87653, D83, ou R9753, que naturellement le 3 sec.
Avec deux cartes, il faut fournir la plus grosse. Quelques petites restrictions seulement : ne signalez pas avec un honneur s’il peut « jouer » (jamais avec un Roi, rarement avec une Dame, parfois avec un Valet, plus souvent avec un 10 : voir plus bas).
Avec quatre cartes, il faut fournir la seconde meilleure : V742, 6532, D943. Et c’est ici que les ennuis peuvent commencer :
1°) Ne risque-t-on pas de confondre avec un appel ?
2°)Comment faire la différence entre deux et quatre cartes ?
Une remarque préalable importante. Lorsque l’entameur possède 4 cartes dont un honneur (Valet au minimum), il doit entamer la troisième meilleure : D964, V752. Sans honneur, c’est la règle générale de la deuxième meilleure qui s’applique : 8632. Mais il s’agit de l’entameur (voir l’article : « Montez en 3ème (2) » du 4 avril 2013). Lorsqu’il s’agit du partenaire défenseur de l’entameur, comme c’est le cas ici, celui-ci doit fournir la deuxième meilleure dans tous les cas (la troisième ne serait pas toujours lisible), même avec un honneur.
La première question, celle de la nature de la signalisation, est facile à résoudre. Si l’on n’est dans aucun des cas d’appel direct ou préférentiel déjà décrits, le signal est un pair-impair.
Y a-t-il deux ou quatre cartes ? C’est ici que les « athéniens s’atteignirent » ! La solution n’est pas toujours évidente, et seule l’observation attentive des cartes du mort, de sa propre main, et de celle fournie (qui est toujours la « carte juste », évidemment…) permettra de se faire une opinion. Une fois que la certitude d’un nombre pair sera acquise, il faudra se poser la question : deux ou quatre ? Il faudra très souvent se référer aux enchères, et en l’absence de résultat, se fier à la façon de jouer du déclarant. Il restera enfin les hypothèses de nécessité. Exemple : « Si mon partenaire en a quatre, le déclarant n’en possède qu’un, et donc nous ne pouvons pas faire chuter. Espérons donc que mon partenaire n’en a que deux ». Je reproduis ici intégralement un exercice proposé par Michel Lebel dans son ouvrage déjà cité, tant le problème est à mon sens crucial et mal compris (figure de droite). Sud joue 4♥. Ouest entame de l’♦A. La ♦D étant au mort, le signal devient une parité (voir l’article précédent sur l’appel avec trois petites cartes ou la Dame au mort). Ouest aimerait bien savoir s’il faut qu’il rejoue le Roi. Est-ce que celui-ci « passe » ? Et qui coupe au troisième tour, le déclarant ou Est ?
– 1er cas, Est fournit le ♦V et Sud le ♦4. Le ♦V est la plus grosse des cartes manquantes : Est est singleton ou doubleton. Il faut lui donner la coupe. Remarque : Est a remarqué que son ♦V second ne « joue » pas, il peut donc signaler son doubleton avec.
– 2ème cas, Est fournit le ♦9 et Sud le ♦V. Ici encore, c’est la plus grosse carte. Est n’a pas plus de 2 ♦. Sud est train de vous « enfumer ». Remarquons que si le ♦V était vraiment sec, Est posséderait alors ♦9764 et aurait fourni le ♦7 et non le ♦9. Importance de la deuxième meilleure !
– 3ème cas, Est fournit le ♦6 et le déclarant le ♦4. Le ♦6 est la plus petite carte visible. Est a donc 1 ou 3 cartes. Le ♦R passe, mais il n’est peut-être pas urgent d’affranchir une ou deux cartes au mort…
– 4ème cas : Est fournit le ♦6 et le déclarant le ♦V. Est n’a pas ♦9764 car il aurait fourni le ♦7. Le ♦V n’est donc pas sec (« enfumage »). Est détient donc soit ♦64, soit ♦976. Le ♦R « passe » donc, mais une ambiguïté demeure.
– 5ème cas : Est fournit le ♦7 et le déclarant le ♦9. Une seule certitude : Est ne peut détenir trois cartes car le ♦7 ne peut pas être la plus petite, mais il peut parfaitement posséder le ♦7 sec, ♦74 ou ♦76, ou même ♦V764. L’ambiguïté est ici totale et le ♦7 n’est pas « lisible ». Il convient de se remémorer les enchères pour tenter de résoudre le problème.
Une fois de plus, comme vous le constatez, on ne peut progresser en défense sans ce petit (!) travail d’analyse approfondi, qui permet souvent (mais pas toujours, malheureusement), de déterminer la conduite à tenir. Il nous reste, pour être complets, à évoquer les cas où l’on signale en fournissant un honneur. Ici, par définition, le partenaire (ou le mort) est maître. Rappelons pour commencer des règles maintes fois signalées :
Sur l’entame de l’As, on montre son doubleton s’il est commandé par le Valet ou une carte plus petite, mais jamais avec la Dame, qui pourra jouer plus tard.
Sur entame du Roi, on marque son doubleton avec le 10 au maximum, mais jamais avec le Valet (sauf V10 secs), pour la même raison que précédemment : le Valet « joue ».
Sur l’entame d’une petite carte, un doubleton ne pourra être marqué que par le 10 au maximum, le Valet et les honneurs supérieurs se trouvant exclus.
Signaler en fournissant un honneur : Un problème un peu plus compliqué se pose si vous avez une séquence d’honneurs, sous une carte maîtresse. Comme vous le savez déjà, si vous décidez de signaler cette séquence, vous devez toujours fournir la carte la plus élevée : RDx(xx), DVx(xx), DV10(x), V109(x), etc. Un honneur est donc soit sec, soit le garant de la carte immédiatement inférieure. De plus, il exclut la possession de la carte supérieure.
Avec un doubleton, RD secs, DV secs, etc., vous fournissez dans tous les cas la plus forte.
Avec davantage de cartes, avant de fournir votre tête de séquence, demandez-vous toujours si vous ne risquez pas de donner un pli à l’adversaire. Si la réponse est non, signalez avec votre tête de séquence. Ce sera souvent le cas si votre séquence est de trois cartes, DV10(x), DV10(x) ou DV9(x) avec le 10 au mort, par exemple. Si la réponse est oui, abstenez-vous de signaler. Dans le cas présenté (figure ci-dessus), vous risquez de perdre une levée, alors fournissez le 2. Voici un résumé de ce qu’il faut faire :
Sur entame de l’As, fournissez la Dame dès que vous possédez DV(xx).
Avec trois cartes équivalentes, fournissez sur l’As du partenaire ou du mort systématiquement la tête de séquence : RDV(x), DV10(x), V109(x).
Avec deux cartes équivalentes, réfléchir avant de faire un déblocage qui pourrait s’avérer coûteux.
Sur entame du Roi, avec V10x(x), fournissez bien sûr le Valet.
Pour finir, réfléchissons un peu au point de vue de l’entameur. Quels renseignements lui apporte la carte fournie par son partenaire ?
Sur entame de l’As : L’apparition de la Dame permet de lui passer tranquillement la main à la seconde levée si on le désire. Le Valet indique soit V second ou V109(xx). Une petite carte (attention !) ne dénie pas la présence de la Dame seconde.
Sur entame du Roi : Si l’on voit le Valet, on peut rejouer sous la Dame, car ce Valet est sec ou accompagné du 10.
Je répète souvent que le jeu de la défense me paraît aussi passionnant que celui de l’attaque. Je pense même, pour ma part, que la défense est le « fonds de commerce » des bons joueurs. Il convient donc, parmi bien d’autres sujets, de s’attacher de près aux notions qui ont été exposées au long de ces deux articles. Bon bridge !
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Merci. Bonnes vacances ♥
Et sur l’entame de la Dame contre un contrat à la couleur ?
Cette question mérite peu de commentaires, car il n’y a évidemment pas de convention particulière : pair-impair, éventuellement préférentielle s’il y a un singleton au mort.