Ne montez pas en second !

Ne montez pas en second ! Cette question est plus fondamentale qu’il n’y paraît au premier abord : Pourquoi ne faut-il pas « monter » en 2ème position dans la levée, et faut-il au contraire « monter » si vous êtes le 3ème ? L’expérience vécue en club montre que les fautes commises sont beaucoup trop fréquentes pour qu’on ne s’y arrête pas.

Ne montez pas en second !

Ne montez pas en second !

« Ça ne change rien, j’avais la dame seconde, il me l’aurait prise de toute façon…! », « j’ai tenu à le pousser pour pouvoir lui prendre son Roi », « de toute façon, il aurait fait l’impasse » sont des phrases entendues à chaque tournoi et qui navrent les bons joueurs, car elles prouvent que le mécanisme même du gain d’une levée n’est pas assez compris, par les débutants mais aussi parfois par des joueurs plus chevronnés…
Ces réflexions suscitent au moins un autre commentaire, qui est une évidence (bonne à rappeler) : L’adversaire ne voit pas vos cartes, il ne sait donc pas qu’une Dame est seconde, il ne sait pas si elle est à sa droite ou à sa gauche, et de plus, vous-même ne savez pas quelle carte il appellera en troisième (avec RV3 au mort, il passera peut-être le Roi, pris par l’As de votre partenaire, et vous ferez votre Dame seconde !). Si vous posez la Dame en second, vous aidez l’adversaire ! Une exception traitée par ailleurs est de taille : l’adversaire attaque la levée par un honneur, faut-il obéir à l’adage « honneur sur honneur » et monter ? Pour la réponse, cliquez.
Ne montez pas en second n’est pas un simple moyen mnémotechnique. Il faut sans cesse reprendre le raisonnement qui vous permettra de comprendre quand il faut appliquer cette recommandation (ce n’est pas une règle), c’est-à-dire à peu près tout le temps. De temps en temps, il faut déroger à ce principe, très rarement, mais alors c’est essentiel. Nous en reparlerons peut-être ultérieurement, lorsque vous aurez pris l’habitude absolue de ne pas monter en second !
Lorsque vous posez la deuxième carte de la levée, 
il reste encore deux joueurs qui doivent fournir une carte : votre adversaire de gauche, puis votre partenaire. Vous avez compris que le meilleur jeu pour un camp consiste à se saisir, et donc à démunir l’adversaire, de la plus grosse carte possible en faisant le pli (l’As doit prendre un Roi, etc.), de façon à promouvoir les cartes inférieures que vous ou votre partenaire pourriez détenir.
En 2ème position, vous ne savez pas ce que le joueur suivant va poser comme carte :
– Si vous montez, mais pas assez, il prendra peut-être avec la carte supérieure, et vous lui aurez donné à « manger » une carte qui aurait pu jouer ultérieurement. En réalité, vous essayez de le « pousser » pour faire prendre ensuite un honneur de votre adversaire par votre partenaire qui en posséderait un plus gros, mais alors vous aurez « dépensé » 2 grosses cartes de votre camp pour une seule de l’adversaire. Et donc vous lui aurez facilité l’affranchissement d’une carte inférieure. Il ne sert presque jamais à rien de « pousser » le troisième joueur, qui dans la plupart des cas mettra de lui même sa plus forte carte (article à venir : pourquoi monter en troisième ?). Remarque (prématurée ?) : si vous avez plusieurs cartes qui se suivent (séquence), vous pouvez quelquefois « pousser » l’adversaire, pour l’empêcher de faire une impasse « profonde » ; cela s’appelle intercaler.
– Si vous montez au dessus des possibilités du 3ème joueur, lui prendrez–vous un Roi avec votre As ou un 10 avec votre Valet ? Non ! Car il fournira une petite carte : vous gagnerez le pli, mais lui aurez peut-être maintenant aussi affranchi une carte !
Dernière remarque : Si vous avez un As, en second, ne montez pas, même si vous savez que l’adversaire est parti d’un singleton. Au bridge, on ne cherche pas à « sauver son As », on cherche à faire des levées. Le sacrifice de votre As – une levée perdue – permettra bien souvent par la suite de gagner deux levées. Assez fréquemment, cela ne coûte rien, donc pourquoi « plonger de l’As » ? Attendez de voir la suite. Parfois, rarement, le raisonnement montre qu’il faut plonger. Par exemple, il faut prendre la main tout de suite pour faire couper son partenaire ; il ne faut pas laisser un joueur de 3SA vous voler sa 9ème levée, etc. Mais il faut bien savoir que dans la très grande majorité des cas, vous aurez aidé l’adversaire ! S’il joue une couleur juste devant votre As, c’est que justement il espère qu’il est bien placé, pour affranchir la suite de sa couleur. Et si vous plongez, c’est le jackpot !
Diagramme 1

Prenons un exemple :  Le déclarant, Sud, attaque très correctement la levée avec le 2 : quelle carte allez vous fournir, en Ouest ?
– Si vous mettez le Roi, le mort posera le 4 et votre partenaire le 3. Vous aurez gagné la levée, mais rien n’empêchera l’adversaire de faire ensuite une levée, soit avec la Dame, soit avec le Valet : en effet, la Dame (ou le Valet) jouée sera prise par l’As de votre camp, rendant le dernier honneur de l’adversaire maître. Celui-ci aura donc gagné une levée. Et si votre partenaire voulait laisser passer cet honneur, la levée sera faite tout de suite. Donc, il y a toujours une levée pour l’adversaire si vous posez le Roi en second, même si votre partenaire a l’As !
– Si vous mettez le 10 pour « pousser », le mort passera la Dame prise par l’As. Ultérieurement (c’est beaucoup moins visible, mais tournez le problème dans tous les sens, vous verrez), partant du 4 du mort, l’adversaire affranchira soit son Valet, soit son 8. Il fera donc inéluctablement une levée.
– Si en revanche vous passez le 5, une petite carte, la Dame sera prise par l’As, puis le Valet par votre Roi et le 8 par votre 10, gardé précieusement. L’adversaire n’aura réussi aucune levée dans la couleur.
Remarque : l’adversaire n’a aucune solution[1]. S’il essaie de passer le 8 du mort, votre partenaire prendra avec le 9, et il restera As et Roi dans votre camp. Et s’il fait un « coup à blanc » en passant le 4, votre 5 restera maître !
La conclusion, c’est qu’il faut faire lire cet article à la prochaine personne que vous verrez monter en second sans puissante raison…

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[1] Sauf techniques de « remise en main » qui ne sont pas l’objet de ce cours.

3 commentaires sur “Ne montez pas en second !

  1. Cher Monsieur,
    Sud ouvre de 3♥ et Nord en met 4. Avec ♠DV987 ♥2 ♦V106 ♣7643, j’entame ♦V (j’aurais pu (ou dû ?) entamer ♠D). Au mort ♠543 ♥AV7 ♦AD2 ♣RV109. Sud prend le ♦ de l’♦A et joue petit ♠. Ma partenaire qui a ♠A1062 ♥65 ♦R874 ♣AD8 laisse passer.
    Sud fait son R sec !
    Je dis à ma partenaire qu’elle n’a rien à gagner à laisser passer. Elle me rétorque « On ne monte pas en second ».
    Je pense avoir raison mais comment la convaincre ?
    Merci

    • Cher ami bridgeur,
      Le bridge est un jeu qui se joue avec des principes de base, mais n’a aucune REGLE. Les règles sont les règles du jeu, celui-ci se jouant avec le meilleur raisonnement possible, et une réflexion de tous les instants. Les principes que l’on enseigne aident beaucoup les débutants, et leur évitent bien des bêtises. Mais évidemment, rien ne remplace le raisonnement carte après carte. La situation que vous décrivez est malheureusement archi-banale !
      Votre partenaire avait tous les arguments pour plonger de l’As. En effet, son adversaire de gauche avait dit 3♥, il ne lui reste donc que 7 cartes (6 après l’entame) dans les mains autres que ♥. Avec 3 petites cartes au mort à ♠, l’ouvreur est donc favori pour avoir un singleton ♠. Et si c’est le ♠R, il le fera. Il faut donc plonger de l’♠. Et supposons que le déclarant ait maintenant 2 cartes à ♠. Si c’est le ♠R second, il le fera toujours, donc plonger ne change rien, alors autant plonger. Pour toute autre teneur, ♠D seconde ou 3ème, etc., plonger ne coûte rien, et on peut même rejouer de la couleur, dans l’espoir de faire prendre une ♠D 3ème du déclarant par son partenaire qui détiendrait ♠RVx(x).
      On ne monte donc jamais en second, sauf quand il faut parfois monter en second, par un raisonnement (souvent simple) qui vous le démontre…
      Bien cordialement,
      Olivier CHAILLEY

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