Contre : appel ou punitif ? (2)

Munch Scream

Edvard Munch (1863-1944), Le Cri (1893) : Un appel ou la crainte d’une punition ?

Je me suis attaché, dans l’article précédent, à faire passer un message : contrez ! Et contrez punitivement, dès que les adversaires ont franchi les limites que vous jugez raisonnables. De très nombreux contres à bas niveau étant des contres d’appel, le seul moyen de pouvoir alors contrer punitif est d’attendre un contre d’appel de votre partenaire et de le transformer, en passant, en contre punitif. Aujourd’hui, je voudrais seulement insister sur quelques points de repères souvent oubliés, sans pouvoir être, bien entendu, exhaustif (voir dans l’article précédent les références du livre de Philippe Lanceau).

Les contres d’appel directs du n°2 ont fait l’objet de cours suffisants dans ce site pour qu’il  ne soit aucunement besoin de développer leurs exigences (Contre d’appel (1), Contre d’appel (2)Les Réveils (2), etc.). Rappelons tout de même, une fois de plus, l’interdiction de contrer avec une main inférieure à une valeur d’ouverture. J’insiste, car on entend trop souvent : « J’avais quatre beaux piques et trois beaux cœurs, et un singleton dans l’ouverture , alors j’ai contré avec 10H : ♠RD74 DV10 4 ♣D9743 ». Si vous jouez le SEF, vous comprendrez que le partenaire, qui compte sur 12H ou 13HL au moins, ne peut pas dans ce cas additionner utilement ses points aux vôtres ! Avec cette main, commencez par passer. N’oubliez pas non plus que si vous n’avez pas 18H ou 19HL (contre « toute distribution »), vous ne pourrez pas reparler au tour suivant. Il faut donc impérativement que vous supportiez n’importe quelle couleur annoncée par votre partenaire, et singulièrement les mineures ! Votre répartition est alors essentielle, vous devez être court dans la couleur d’ouverture. Et c’est ainsi qu’on peut être amené à passer avec parfois 15, 16 ou même 17H, chose à laquelle répugnent les débutants…

Les contres dits spoutnik (ils ont été inventés l’année de l’envoi du premier Spoutnik, en 1957) sont évidemment tous d’appel et signifient en gros : « Partenaire, l’adversaire vient de m’empêcher de dire ce que je voulais enchérir ». Après ouverture d’1 et une intervention à 1♠, le contre du répondant signifie : « je voulais répondre 1« . De même, après une ouverture d’1 et une intervention à 2, contre indique que l’on voulait dire soit 1♠, soit 2♣. Des cours complètent ces notions pas toujours faciles : Le camp de l’Ouvreur après intervention (1)Ouvreur après intervention (2). Une précision importante en forme de conseil : le SEF n’a pas adopté la convention Lebel-Soulet qui consiste à annoncer, après une intervention à 1, contre pour exprimer quatre cartes à ♠ (sorte de spoutnik inversé) et 1♠ pour annoncer cinq cartes. L’idée est séduisante, puisqu’elle permet à l’ouvreur de connaître immédiatement le nombre de ♠ de son partenaire. Cependant, elle prive le répondant d’un contre informatif naturel important : des points, typiquement 9 ou 10HL, pas d’arrêt  (donc 1SA impossible), pas de ♠. Exemple : que dire avec ♠D65 97 AR85 ♣V1074 ? On aurait répondu 1SA sans l’intervention, mais maintenant ? Le bénéfice de la convention Lebel-Soulet apparaissant à la longue faible par rapport à cet inconvénient, je vous recommande, si vous la jouez, de l’abandonner, et de répondre contre avec la main présentée (ou bien alors trouvez-moi une solution pour enchérir cette main : passe ? 1SA ?).

Les contres informatifs : nous venons d’en voir un exemple. Il s’agit des cas où aucune enchère n’est satisfaisante, mais où vous voulez tout de même vous manifester, notamment parce que vous avez des points et/ou un début de fit. Vous trouverez aussi des exemples dans les cours. Un exemple classique est le contre dit de réouverture. Après votre ouverture, une intervention à votre gauche, et le passe des deux joueurs suivants, si vous n’avez aucune enchère naturelle, contrez dans deux circonstances : 1°) vous êtes court dans l’intervention et votre partenaire a peut-être voulu faire un passe-trappe, 2°) vous avez des points, à partir de 15-16HL et vous indiquez alors une main de 2ème zone. Ce contre est d’appel mais peut être transformé en punitif si votre partenaire le désire. Eh oui, on peut engranger des chutes fructueuses contrées même au niveau de un !

Les contres en sandwich : Ils sont en général d’appel, et à la fois dangereux et très précis. A la suite de l’annonce de 2 couleurs différentes par l’ouvreur et son répondant, ils indiquent une main bicolore 5-4 dans les couleurs restantes (5 cartes dans la moins chère), parfois 4-4. Ce contre est dangereux parce que les adversaires ne se sont pas fittés et qu’il n’y a donc pas de raison que vous trouviez non plus un fit dans votre ligne… De plus, ni l’ouvreur ni le répondant n’ont encore limité leur main. Le bicolore est donc précis, mais doit s’accompagner de points (belle ouverture), de plus bien concentrés dans le bicolore, donc sans levée de défense dans les couleurs annoncées par le camp d’en face. Voir Intervention sandwich du n°4. Même lorsque l’ouvreur a limité sa main, l’intervention en sandwich est dangereuse. Après 1-passe-1-passe-2, en Nord-Sud, ouvreur Sud, le contre en Ouest indique les deux couleurs noires, avec quatre ♠ seulement (avec cinq ♠, Ouest aurait dit plutôt 1♠). Le répondant, outre ses , peut non seulement posséder du ♠, mais aussi 15 points (exemple : ♠DV98 ADV85 D3 ♣R6). Que fera votre camp si, comme il doit le faire, il surcontre ?

Après une enchère à SA : L’exemple le plus simple est le même « sandwich » que précédemment, mais avec une enchère à 1SA de l’ouvreur après la réponse de son partenaire. Dans le silence de votre camp : 1♣-passe-1♠-passe-1SA. Votre partenaire, alors, contre. Appel ou punitif ? Pourquoi, si ce contre est d’appel dans les couleurs rouges, n’a-t-il pas contré au premier tour ? Tout simplement parce qu’avec deux petits ♠ et trois cartes à , par exemple, il ne pouvait pas intervenir correctement. Ce contre du second tour est donc bien d’appel. Exemple de main du contreur, le n°2 : ♠103 RD107 ARV4 ♣943.

Employons toujours le même raisonnement dans les cas où l’on entend une enchère à SA : Pourquoi le partenaire n’a-t-il pas contré au premier tour s’il le fait maintenant ? Voici un exemple a contrario. Ouverture à votre gauche 1♠, 1SA en réponse à droite, puis redemande de l’ouvreur à 2♠. Votre partenaire, Contre punitif 3qui avait passé, contre maintenant. Pourquoi pas au premier tour ? Si le contre était d’appel, il aurait parfaitement pu le faire au premier tour. De plus, on voit un misfit chez l’adversaire (réponse d’1SA). Le contre est donc cette fois-ci punitif. Exemple de main du contreur, emprunté à Vincent Combeau : ♠RV1097 AR3 A2 ♣864 → passe sur 1♠, puis contre après la réponse de 1SA et la redemande à 2♠. Bien entendu, cette fois, en Sud, vous passez, pour jouer 2♠ contrés (vérifiez tout de même que vous êtes court à l’atout, pour confirmer la nature du contre de votre partenaire).

Attention : on pourrait penser que le contre qui vient d’être décrit a la même signification qu’il soit direct ou en position de réveil. Ce n’est pas vrai : un contre direct, en sandwich, n’a pas tout à fait la même signification en réveil. En direct, vous ne savez pas encore si le joueur suivant va passer ou non. Il peut par exemple avoir une réserve d’atouts (7 au lieu de 6, par exemple). En réveil, vous savez que l’adversaire a l’intention de s’arrêter là. Et en match par paires notamment, il est souvent utile de ne pas laisser les adversaires jouer au niveau de 2 – à cause du fameux 110 –. Le contre de réveil n’a donc comme but, ici, que de relancer les enchères, c’est un « contre de réouverture ».

On entend souvent cette affirmation : « lorsque l’adversaire a annoncé SA, tous les contres sont punitifs ». Affirmation relativement vraie, mais qu’il convient donc de nuancer (voir les quelques exemples présentés plus haut). Une certitude : comme toujours au bridge, il convient de réfléchir et de se mettre autant que faire se peut à la place de son partenaire, qui doit lui-même anticiper votre réaction…

Autre exemple en forme de piège, avec une séquence similaire : 1♣-passe-1SA-passe-2♣ dans le silence adverse, puis le n°2 subitement contre, après avoir passé au premier tour. D’appel ou punitif ? Raisonnement : l’auteur d’1SA n’a pas quatre , ni quatre ♠, peut posséder quatre ou cinq  dans une main régulière, mais bien plus souvent quatre que cinq cartes à . Ce répondant possède donc toujours deux cartes à ♣ au moins, plutôt trois, ou même parfois quatre. L’enchère de 2♣ de l’ouvreur promet maintenant cinq cartes, contre trois seulement promises à l’ouverture. Le camp de l’ouvreur peut donc être considéré comme fitté, et de ce fait le contre devient un contre d’appel (rappel : contrer des adversaires qui viennent de se fitter est toujours  un appel).

Le contre en réveil : Ici, la réflexion doit être encore plus soignée, si l’on peut dire, et chaque séquence doit être examinée per se. Un premier exemple, donné par le même Vincent Combeau, concerne le jeu à SA, après la séquence 1♠-passe-1SA-passe-passe. Vous avez ♠4 RD108 V974 ♣RV52, main rêvée pour un contre de réveil. Cependant, réfléchissons : l’ouvreur n’a pas répété son ♠, et n’a donc que cinq cartes, en face de son partenaire qui n’en a que deux au maximum. Notre partenaire possède donc au moins cinq ♠. Sa répartition sera le plus souvent 5332. Il n’aura donc que 3 cartes a priori, si l’on tombe bien, dans une de nos couleurs… Conclusion : en réveil, après cette enchère à SA, on tombera mal le plus souvent, et le contre ne doit être que punitif. Dans le cas présent, seule enchère possible, passe ! Il me semble que ce genre de problème de contre doit être travaillé sérieusement avec son partenaire car ce sera loin d’être évident pour lui !

Evidemment, le cas des ♣ est différent, car comme dans le cas du contre direct présenté plus haut, on doit considérer que les adversaires se sont a priori fittés, même si ce n’est que statistique. Le contre redevient d’appel après la séquence 1♣-passe-1SA-passe-passe.

Dans toutes les autres séquences qui se terminent par 1SA, l’examen des situations possibles conclut à une trop grande probabilité de misfit (examinez les cas possibles vous-même). Le contre de réveil après SA doit donc être considéré comme punitif.

Lorsque la séquence s’est terminée par une couleur, soit nouvelle, soit répétée (1-1♠-2, 1♠-1SA-2♠, ou 1-1SA-2, par exemple), le contre de réveil ne peut pas être punitif. En effet, un contre punitif n’est concevable qu’avec de beaux atouts fournissant au moins deux levées certaines. Or, ici, les atouts du contreur de réveil sont évidemment « soumis ». Le contre doit donc toujours être considéré comme d’appel, et donc proposé avec les couleurs restantes et une courte à l’atout. Bien entendu, le partenaire du contreur peut toujours transformer ce contre en contre punitif : il lui suffit de passer !

Un problème pour terminer en apothéose : les adversaires ont nommé trois couleurs de façon naturelle. Le contre (du second tour, nécessairement) est-il d’appel ou punitif ? Evidemment, il ne peut pas être punitif, en raison de l’explication présentée au paragraphe précédent : les atouts seraient soumis. Il est donc toujours d’appel. Mais comment peut-on envisager un contre d’appel dans cette position, puisqu’il ne reste qu’une couleur ? Une seule possibilité : un bicolore comprenant 1°) la dernière couleur, bien sûr, 2°) la couleur du répondant, qui ne possède peut-Contre punitif 2être que 4 cartes et qui n’est pas soumise (on jouera éventuellement avec les atouts adverse 4-1). Exemple : après 1-passe-1♠-passe-2♣-passe-passe (voir figure), Nord peut contrer (d’appel), avec la main suivante : ♠AD1082 A73 RV106 ♣3. Un contre au premier tour n’était pas envisageable en raison du singleton ♣ et des cinq cartes à ♠. Après la préférence à ♣ donnée par le répondant, le fit à ♠ devient très possible… Il ne reste plus qu’à espérer que le partenaire Sud, c’est-à-dire vous, a compris la signification de ce contre !

J’espère vous avoir convaincu que l’emploi des contres constitue un chapitre passionnant de notre jeu, même s’il demande évidemment beaucoup de travail de réflexion et de discussion avec le partenaire. La déclaration à bon escient et la compréhension des contres font partie de la panoplie des vrais bons joueurs de bridge, qui en tirent parfois et même souvent des résultats spectaculaires. Sans vous donner mal à la tête, essayez simplement de réfléchir (comme d’habitude) à chacune des situations que vous rencontrerez. C’est ainsi que viennent les progrès.

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10 commentaires sur “Contre : appel ou punitif ? (2)

  1. Je ne connais votre site que depuis 2 mois. J’ai enfin compris grâce à vous des « évidences » que l’on ne m’avait jamais expliquées! Je ne connais pas un seul autre site apportant une valeur ajoutée approchante. « A consommer sans modération aucune ! »
    Une simple suggestion pourtant. La recherche d’un cours est parfois difficile et prend du temps – ( surtout si on ne sait même pas si vous avez traité le sujet et combien de cours existent sur ce sujet). Pourriez-vous songer à regrouper l’ensemble des liens (blogs, cours, exercices,…) dans un seul onglet, sans pourtant toucher aux rubriques dédiées actuelles.
    Encore une fois Bravo et Merci.
    Paul-Henri

    • Cher ami bridgeur,
      Merci de ces encouragements. Votre suggestion est excellente et j’y avais songé. J’ai d’ailleurs déjà essayé d’intégrer la plupart des cours dans l’index-dictionnaire dans ce but. Il n’y sont peut-être pas tous, car cela n’a pas été systématique. Je vais tâcher de remédier à cette situation.
      Bien bridgeusement (voir ce mot dans l’index-dictionnaire) !

  2. Fidèle lecteur et toujours sous le charme …
    Mais, … Je crois avoir relevé une ambiguïté : « le contre des adversaires qui viennent de se fitter est toujours d’appel » _ Vous voulez sûrement dire :  » contrer des adversaires qui … » . Évidemment, l’ambiguïté ne résiste pas à une seconde lecture de la phrase ! Mais, … Suis-je à ce point distrait ? Et est-il utile de me bousculer ?
     » Bridgement  » vôtre !

    • Cher ami bridgeur,
      Les réponses à ces questions figurent dans les cours, qu’il suffit de consulter et de bien apprendre. Ceci dit, le SEF a évolué. Ce contre était punitif (7 levées visibles) jusqu’en 2018. Depuis, devant la rareté de pouvoir contrer punitif, le contre est devenu conventionnel, montrant 5 cartes dans une mineure et 4 cartes dans une majeure, avec naturellement quelques points dans ce bicolore, et si possible un singleton (main 5431). Le tout, c’est de vous METTRE D’ACCORD avec votre partenaire !
      Bien cordialement,
      Olivier CHAILLEY

  3. Que pensez vous du contre d’une enchère soutenue (P-1♥-P-4♥-X). Le camp de l’ouvreur est vulnérable et le camp du contre n’est pas vulnérable ? Contre appel, punitif, spoutnik !!!

    • Cher ami bridgeur,
      Le contre d’une couleur qui vient d’être soutenue, quel que soit le niveau, est TOUJOURS d’appel. Le contre d’un barrage est aussi TOUJOURS d’appel. Votre contre est par conséquent d’appel. Le contreur, cependant, se doit d’avoir quelque chose, et notamment au moins trois levées de défense, et même trois et demie, permettant ainsi à son partenaire qui n’aurait vraiment rien à dire, de passer en désespoir de cause. Pour plus de détail, j’ai inséré en première série un cours sur la question, qui est en fait un article d’Alain Lévy dans Le Bridgeur : Défense contre les ouvertures de 4♥ et 4♠ (et assimilés).
      Bien cordialement,
      Olivier CHAILLEY

      • Cher Monsieur Chailley,
        Ce qui m’interpelle ici est le fait que le contreur ait passé d’entrée. J’ai du mal à imaginer une main permettant un contre d’appel à ce niveau.
        Bien cordialement,
        Jean Bréfort

        • Cher ami bridgeur,
          Même après passe, il convient de garder, à mon sens, les bons principes. Contre dit bien « j’ai des défenses possibles » : un contrat quelconque (à partir de 4♠), en sacrifice ou pour le gagner, ou bien une punition (l’adversaire fait un barrage peut-être un peu juste). Voici une main possible : ♠A1084 ♥A ♦DV4 ♣109852 : P-1♥-P-4♥-Contre (avec trois levées de défense). Ce contre reste d’APPEL (certains parlent d’optionnel, mais c’est trop flou, et surtout inexact). Si le partenaire passe, (pas de couleur 5ème, jeu trop plat : il a le droit de passer), on sera en défense, mais il fournira peut-être tout de même une ou deux levées (l’auteur de l’enchère à 4♥ est faible), et on pourra parfois faire chuter, on verra bien. Mais surtout, le partenaire répondra 4♠ avec un jeu aussi faible que ♠96532 ♥97 ♦R8532 ♣3. Vous voyez que 4♥ est en béton chez l’adversaire et que 4♠ ne fera que moins 1 (100 ou 200) ou au pire moins deux. Les exemples sont nombreux, je suis moi-même un contreur à tout crin (trop, peut-être ?). Je vous renvoie à un article intéressant de Bridgerama n°460 de janvier 2020, en 1ère de couverture : défendez-vous !
          Bien cordialement,

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