Sachez entamer (2)

Le melon entamé

Le melon entamé (1760), Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779)

Dans le premier volet de ces articles, nous avons insisté sur le fait qu’une bonne entame ne dépend que de deux facteurs : l’écoute soigneuse des enchères, et les probabilités. Et une main était présentée, pour laquelle 4 séquences d’enchères variées entraînaient 4 entames différentes. Ne revenons pas là -dessus, non plus que sur tous les principes d’entame que vous trouverez aisément dans les cours du présent site (L’Entame à la couleuretc.), et dans d’excellents livres comme ceux de Claude Delmouly, « Les entames », Éditions du Bridgeur, ou Hugh Kelsey & John Matheson, « Improve your opening leads », Master Bridge Series, 1982. Les principes sont maintenant bien codifiés. Contentons-nous, à la couleur comme je l’ai fait précédemment à SA, d’insister sur des points mal compris et des fautes souvent constatées à la table. Nous parlerons aujourd’hui exclusivement des jeux à la couleur.

Commençons par rappeler une entame interdite : l’entame sous un As. On la voit encore par ci par là. Il s’agit alors soit d’un très mauvais joueur, soit d’un champion international, dont la prouesse sera publiée dans les journaux de bridge. Le premier cas, cela va sans dire, sera plus fréquent.

En revanche, l’entame sous un Roi, quand elle est bien réfléchie, peut être excellente. Elle fait partie des entames dites « actives ». Un exemple vous en a été donné au début de l’article précédent. Vous en trouverez d’autres dans le site [voir par exemple Principes d’entame à la couleur (1)]. Une réflexion que l’on ne devrait plus entendre : « Je n’ai pas entamé dans cette couleur parce que j’aurais joué sous le Roi ». On devrait plutôt dire : « Je n’ai pas entamé dans cette couleur parce que je ne l’ai pas jugé indiqué, Roi ou non ».

Si le partenaire a parlé dans une couleur, dans la très grande majorité des cas, il faut impérativement songer à entamer dans cette couleur (en parité stricte). Mais attention si vous possédez l’As sans le Roi (voir l’article : « N’attaquez pas d’un As ! » de février 2013) ! En effet, le partenaire a peut-être annoncé une couleur sans gros honneur, DV853 par exemple. L’entame de l’As est désastreuse si le Roi est dans la main du déclarant. Entamez-donc d’une autre couleur. Corollaire important et très utile en défense : Si votre partenaire a entamé dans une autre couleur que celle que vous avez annoncée, c’est qu’il y détient l’As sans le Roi. A la première occasion, avec la main ci-dessus, vous repartirez de la Dame pour « cravater » le Roi du déclarant.

L’entame d’un singleton, entame sur laquelle se jettent tous les débutants, est une des entames favorites des joueurs et d’ailleurs classée parmi les meilleures entames [voir L’Entame à la couleur (compléments 1)]. Cependant, elle n’est utile (évidemment !) que si elle vous fait gagner une levée. C’est une lapalissade. Deux grandes conditions à ne jamais oublier avant d’entamer singleton : Y a-t-il dans votre main d’entameur une levée d’atout naturelle certaine ou probable (DV4, R3, V832) ? Si oui, non seulement vous ne gagnerez pas une levée que vous auriez faite de toute façon, mais vous économisez un tour d’atout au déclarant, lui donnant donc souvent une levée supplémentaire… L’idéal est de ne posséder que 2 ou 3 petits atouts pour entamer singleton, ou un honneur « prenable ». L’autre condition est tout aussi nécessaire : votre partenaire doit avoir des chances sérieuses de prendre la main, et donc avoir des points. Si votre main est trop forte, ce sera rarement le cas. La meilleure main pour entamer singleton est donc une main faible avec de petits atouts… A retenir donc, l’entame singleton est une excellente entame qui peut se retourner contre vous (Michel Bessis est moins sévère que moi, il parle de l’entame d’un singleton comme d’une entame « indiscutable », avec cependant des exceptions…). Petit rappel final : on n’entame pas d’un singleton atout.

Rappel : L’entame d’un doubleton est souvent mauvaise et doit être un dernier choix, comme l’entame « As second », admissible seulement s’il n’y avait vraiment rien d’autre, ce qui est finalement assez fréquent…

L’entame AR Romanet : Dans les années 1960, le docteur Bertrand Romanet, proposait, lorsqu’on voulait entamer avec ARx(xxx), d’entamer du Roi lorsque l’on souhaite connaître la parité, c’est-à-dire le nombre de cartes détenues dans cette couleur par son partenaire ; d’entamer de l’As lorsque l’on souhaite savoir s’il faut poursuivre dans cette couleur ou non (appel ou refus). Cette entame, jouée par nombre de vieux bridgeurs, est tombée en désuétude pour deux raisons apparues rapidement, et d’ailleurs liées. La première est que cela demandait à l’entameur d’imaginer son plan de jeu de défense au seul son des enchères et à la vue d’un seul jeu, le sien, donc « à l’aveuglette ». La seconde est qu’il ne pouvait qu’ignorer, avant qu’il ne s’étale, le nombre de cartes détenues par le mort dans son entame. Or, c’est ce nombre de cartes au mort dans cette couleur qui dictera le plus souvent l’attitude du joueur n°3. Ce n’est donc, le plus souvent, qu’après l’entame que la défense peut utilement élaborer un plan de jeu. La convention Romanet reste donc utile dans le cours du jeu, lorsque le partenaire de l’entameur repart avec ARx(xx), mais elle a disparu à l’entame.

L’entame moderne avec AR(xxx) : Aujourd’hui, on entame toujours de l’As sans hésiter, avec toutefois de petites exceptions. On entame, par convention, du Roi lorsqu’on a AR secs. Michel Bessis, dans son excellent livre « La Signalisation, tome 1 », éditions du Bridgeur rajoute une convention utile. On entame du Roi avec AR « si l’on possède un singleton extérieur que l’on a également envie d’entamer ». On a en réalité rarement à la fois un singleton et AR dans une autre couleur, cependant la convention reste utile par son inférence : si vous entamez d’un As et que vous ne poursuivez pas du Roi (de peur d’affranchir une Dame, par exemple), la carte suivante ne peut pas être un singleton, car vous auriez entamé du Roi !

Les entames contre un chelem n’ont finalement qu’un but : ne pas donner la 12ème levée dès l’entame. Le plus souvent, une entame neutre s’impose (pair-impair dans 3 ou 4 petites cartes). Parfois une entame « agressive » peut être suggérée par les enchères, sous un Roi – même second ! –, pour mettre le déclarant « au pied du mur ». L’entame d’un As n’est presque jamais indiquée, car le seul effet obtenu sera l’affranchissement immédiat pour le déclarant d’une couleur secondaire dont vous aviez justement le contrôle, lui fournissant donc des défausses inespérées [Voir Principes d’entame à la couleur (3)]. Un problème se pose en match par paires : si vous « empaillez » un As que l’on aura entamé aux autres tables, vous aurez une très mauvaise note, car le déclarant sera alors le seul à marquer une levée supplémentaire. On entamera donc plus souvent d’un As (notamment si le chelem apparaît certain) en match par paires...

Toutes les réflexions ci-dessus ne sont que des « rabâchages » qui pourraient lasser certains d’entre vous. Cependant, l’entame est d’une telle importance dans notre jeu (cf. les centaines de pages écrites sur la question par A. Lévy dans Le Bridgeur) que je me suis autorisé à aborder, une fois de plus, le sujet. Bon bridge !

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4 commentaires sur “Sachez entamer (2)

  1. Merci pour tout le blog .
    Et cet article tout particulièrement, car il m’a permis d’éviter l’entame du singleton contre un chelem -> un top!
    J’attends avec impatience vos articles …

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